1955
Le Fils de Caroline Chérie
- Réalisation : Jean-Devaivre
- Assistant à la réalisation : Claude Sautet
- Scénario : d’après le roman de Cécil Saint-Laurent
- Adaptation ‘de l’auteur’ (en fait Jean Anouilh et Jean-Devaivre – non crédités au générique)
- Dialogues : Cécil Saint Laurent et Jacques Delasame (pseudo du producteur François Chavane – (en fait Jean Anouilh non crédité au générique)
- Production : Cinéphonic, Gaumont
- Producteurs : Alain Poiré, et François Chavane
- Tournage : 1954 dans les Pyrénées Orientales (Collioure, Argelès, Mont-Louis, Port-Vendres) région parisienne et studios Franstudios à Saint Maurice
Sortie en France : mars 1955
Edition DVD Gaumont Classiques (lien), disponible en particulier sur FNAC.COM, RAKUTEN, AMAZON, …
Janvier 1954 : François Chavane, le producteur de Cinéphonic – producteur des deux premiers volets de Caroline -, appelle Devaivre. Il veut absolument démarrer Le Fils de Caroline Chérie.
Le Caprice de Caroline Chérie, sorti en salles en février 1953, a été un immense succès commercial, rentabilisé en moins de neuf mois. Dans un tout autre registre, avec Erich von Stroheim, Alerte au Sud, tourné par Jean-Devaivre en 1953 dans la foulée immédiate du Caprice, sorti en salles début novembre 1953, est en tête du box-office.
Au vu des recettes, les deux producteurs, Gaumont/Alain Poiré et Cinéphonic/François Chavane sont convaincus qu’il faut mettre en chantier au plus vite le 3e volet de la trilogie.
Jean-Devaivre prend le scénario que Cécil Saint-Laurent, sur la base des quelques mille pages de son roman éponyme, a fourni à Chavane (qui ne l’a pas lu et donné par ailleurs directement à Anouilh …). Et il hésite doublement : le scénario est encore maigre, à réétoffer assez fondamentalement, et les relations ne sont pas simples entre auteurs ‘vrais’ et auteurs voulus et affichés… Et puis, deux ans avant, les coulisses du Caprice n’ont pas été une totale partie de plaisir.
L’équipe de conception se forme assez vite, et le jeune Claude Sautet est désigné comme premier assistant : actif, imaginatif et attentif à la valeur des détails, il va se montrer vrai assistant et soutien pour JDV, dès les premières étapes de préparation du scénario-adaptation et des dialogues.
Du côté des comédiens, Jean-Claude Pascal, est à nouveau présent dans ce dernier volet, cette fois dans un tout autre rôle, celui précisément du Fils (mais qui s’ignore tel ..) de Caroline Chérie, mais il n’est plus ‘le jeune premier montant’ qu’il était pour le Caprice. Après le succès du Caprice dans le rôle de Livio, le beau danseur et chef des insurgés, puis immédiatement ensuite le succès d’Alerte au Sud où Jean-Claude Pascal tient le 1er rôle-vedette de Jean Pasquier, jeune officier français au Maroc , il est maintenant une star, et va tenir le rôle-titre.
De son côté, Martine Carol, sacrée pin-up internationale par tous les magazines de l’époque, désormais compagne et bientôt épouse du réalisateur Christian Jaque, avec qui elle tourne à cette époque Lucrèce Borgia puis Madame Du Barry, ne sait pas si elle va accepter le rôle : à la fois car le rôle de Caroline n’est plus central – le personnage essentiel est celui de Juan d’Aranda, incarné par Jean-Claude Pascal -, Martine Carol interviendrait ainsi seulement pour quelques scènes), et aussi parce que ce rôle de ‘mère’ va devoir la vieillir .. alors même que c’est Brigitte Bardot, qui, toute jeune débutante prometteuse, va incarner dans le film le rôle essentiel de Pilar d’Aranda..
Tout au long de la préparation, et jusqu’aux premiers tours de manivelle, le final du scénario restera en suspens, faute d’une réponse claire de Martine Carol.
Caroline n’apparaîtra finalement qu’en portrait dans le bureau de son mari le général de Sallanches (toujours incarné par Jacques Dacqmine)..
Le tournage a lieu au printemps et à l’été 1954, en extérieurs dans les paysages des Pyrénées Orientales, paysages français – de montage et de mer – les plus proches de ceux de l’Espagne. La première scène captée (qui dans le scénario se situe plutôt vers la fin du film) le sera à Port-Vendres (étymologiquement le Port de Venus), entre Pilar d’Aranda (Brigitte Bardot), Tinteville (Georges Descrières) et Teresa (Magali Noel), venus dans une taverne acheter les services de marins pour le sauvetage de Juan d’Aranda, retenu prisonnier sur l’île de Cabrera.
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2 – Synopsis
Nous sommes en 1806. C’est désormais l’Espagne qui est occupée par les troupes de Napoléon. Le film s’ouvre, non pas sur la scène de naufrage et de sauvetage d’un enfant, prévue par le scénario initial, – qui permettait immédiatement au spectateur de percevoir le mystère de l’origine de Juan d’Aranda -, mais sur un intérieur de château espagnol où une mère, la marquise d’Aranda et l’une de ses filles, Conchita, font précipitamment leurs malles pour quitter leur demeure qu’elles ne veulent pas voir envahie par un détachement armé français. Pendant ce temps, Juan d’Aranda (Jean Claude Pascal) prépare son cheval, s’apprête à rejoindre les insurgés espagnols, et dit au revoir à (celle qu’il croit être) sa jeune sœur, Pilar.Toute l’histoire sera celle des combats et engagements de Juan d’Aranda – d’abord ignorant de ses origines, à la recherche de son vrai rôle de résistant dans cette guérilla franco-espagnole : d’abord auprès de guérilléros – en fait des pillards qui vont chercher à le pendre-, puis auprès d’un vrai chef de maquis qui le charge de tendre un piège au général Gaston de Sallanches ; du côté de Sallanches lui-même enfin, auprès de qui il va progressivement comprendre sa vraie identité.
Fait prisonnier et menacé de mort à plusieurs reprises, le beau Juan d’Aranda sera tiré d’affaire en même temps qu’il découvrira progressivement la réalité de ses origines par l’action de plusieurs jeunes (et jolies) femmes : une sauvageonne gardienne de bétail dans la montagne, Térésa (Magali Noël), une duchesse proche du Général de Sallanches, la duchesse d’Albuquerque (Sophie Desmarets) qui intervient pour lui éviter le peloton d’exécution pour les traîtres ..; alors qu’il sera finalement trahi par son ami, l’aide de camp de Sallanches, le lieutenant (et marquis) de Tinteville (Georges Descrières), qui tentera tout pour lui arracher la jeune Pilar (Brigitte Bardot), l’élue de son cœur.
Juan d’Aranda, le fils de Caroline Chérie, retrouvera finalement la belle qu’il a toujours aimée, Pilar, pendant que Gaston de Sallanches, lui, retrouvera sa femme Caroline.
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3 – La Distribution
Distribution
Jean-Claude Pascal : Juan d’Aranda |
Générique technique
Réalisation : Jean-Devaivre Date de sortie : France 11 mars 1955 |
5 – Préparatifs – Le choix des comédiens
extraits de « Action ! » Mémoires 1930-1970 (manuscrit original)
Printemps 1954 … Une semaine se passe en préparation.
Robert Sussfeld [le directeur de production] établit un plan de travail avec Claude [Sautet], et nous le montre.
Distribution technique : André Thomas, le directeur de la photographie qui avait si bien réussi le Caprice, est écarté, et on nous impose Maurice Barry, un ami d’enfance d’Anouilh, qui nous impose aussi un sien neveu, comme 2e assistant à côté de Claude Sautet. L’image de Barry sera bonne, particulièrement pour les intérieurs, mais pour les extérieurs elle n’aura pas la même qualité que celle d’André Thomas .. et pourtant, lors du tournage, les techniciens dépêchés par le laboratoire Technicolor de Londres seront les mêmes que pour le Caprice…
Jean Lallier, que je connais depuis des lustres, sera le cameraman
Pour la distribution des rôles, Jean-Claude Pascal sera le fils de Caroline, Juan d’Aranda. Jacques Dacqmine reprendra son rôle du Général de Sallanches. Sophie Desmarets est engagée pour le rôle de la duchesse d’Albuquerque, l’épouse de Junot.
Jean Anouilh a finalement changé le nom initial, -Abrantes -, car la famille d’Abrantes existe toujours et il vaut mieux ne pas aller au-devant de difficultés, surtout pour les scènes assez ‘sexy’ que Jean Anouilh a imaginées. Le nom de Junot sera aussi remplacé par celui du Général Durand…
Deux rôles principaux suscitent des discussions, ceux des deux soeurs de Juan d’Aranda.
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François Chavane et Alain Poiré poussent beaucoup pour Brigitte Bardot, une toute jeune comédienne qui était particulièrement bien dans un rôle épisodique de Hélène de Troie et qu’ils ont remarquée. « – Elle est très sexy ! » .. et Chavane et Poiré veulent lui confier le rôle de la plus jeune soeur de Juan, Pilar, rôle de pure jeune fille – Si elle est tellement sexy, vous ne croyez pas qu’elle serait mieux pour la petite sauvageonne
Térésa ? .. Va pour Brigitte Bardot, très jeune, elle va s’avérer très attentive, bosseuse, voire perfectionniste, toujours ponctuelle.
Pour le rôle de la jeune sauvageonne Térésa, j’aurais bien aimé avoir Rosy Varte, belle et excellente comédienne, sûre et aguichante, bien adaptée pour le rôle. Elle avait été excellente en chef gitane dans Vendetta en Camargue... Elle est écartée. Je reviens plusieurs fois à la charge, sans résultat. On cherche. François Chavane jette son dévolu sur Magali Noël, une jeune comédienne qui vient de tourner dans un film de Christian Stengel. En projection, on me passe 2 bobines du film, je donne tout de suite mon accord. Cette comédienne qui a un tempérament certain, devrait vite devenir une très grande artiste.
Une autre très jolie comédienne vient me voir, Micheline Gary. Elle a plusieurs pièces de théâtre à son actif. J’en parle à François Chavane pour le rôle de Conchita, la 2ème soeur de Juan.
Successivement dans mon bureau défilent Jean Piat que j’ai vu à la Comédie Française, ainsi que Robert Dhéran. Robert Dhéran tape dans l’oeil de François Chavane. Je serais ravi d’avoir Dhéran car Jean Piat vient de nous faire savoir que la Comédie Française ne veut pas le lâcher pendant les 5 semaines nécessaires au tournage. Finalement, même chose pour Robert Dhéran,….. nous continuons de chercher.
Je signale un jeune comédien qui me semble plein de promesses, Georges Descrières. C’est finalement lui qui interprétera le rôle du Marquis de Tinteville.
Marcel Pérès sera le brigand Frégos. Jean Galland : le chef des rebelles en Espagne. Villacampo. Michel Etchevery sera excellent en prieur fanatique. Robert Manuel : le roi Joseph. Alfred Adam : le Général Lasalle.
Albert Dinan : ‘mon joker’ sera le Lieutenant Guéneau.
Jean Debucourt : le père supérieur d’un monastère. Germaine Dermoz : la comtesse d’Aranda, mère adoptive de Juan. Sylvie Pelayo et Lisette Lebon, deux jeunes filles accueillantes. Pascale Roberts, une femme de général. Robert Dalban toujours truculent, sera Capitaine des gendarmes, d’un poste isolé en pleine montagne espagnole. Charles Deschamps, volubile, est choisi pour l’oncle de Juan. Robert Le Béal, un officier de l’Etat-Major du Général de Sallanches.
Bernard Lajarrige sera l’ordonnance de Juan. C’est un acteur qui peut tout faire, et tout faire bien, et de façon spirituelle. Je l’avais vu à la Michodière avec François Perier, il interprétait un potache lourdaud mais plein d’esprit. Il nous avait vraiment amusés par son excellent jeu.
Jean-Claude Pascal m’emmène dans un petit théâtre, celui d’André Baugé, cet excellent chanteur baryton qui a été un des rois des opérettes et de l’opéra-comique : L’air de Figaro du « Barbier », peu de chanteurs ont eu son espièglerie, sa volubilité. Ses notes, pures, s’envolaient loin dans les cintres et aux derniers balcons. «La rondes des heures», «Roses de Picardie», «L’auberge du cheval blanc», je crois qu’il n’a pas encore eu d’égal.
Madame Bauer-Théron, pour ses cours de comédie, s’est installée dans le théâtre d’André Baugé. J’assiste à un récital de jeunes comédiennes et comédiens. Parmi ces comédiens, je remarque particulièrement l’un deux, Marcel Bozzuffi (il n’a encore jamais fait de cinéma). Je le ferai engager pour un rôle court, parmi ceux qui restent libres. Bozzuffi sera l’un des chefs guérilleros. L’équipe de Gérard Carliez et Raoul Billeret, les maîtres d’armes, sera précieuse avec Jacky Blanchot et Georges Demas. Daniel Ceccaldi sera un officier.
Avec Rosine Delamare, j’examine toutes les maquettes des costumes pour les femmes. Ils sont très beaux et les couleurs des tissus sont assemblées avec un goût sûr. Les uniformes militaires ne sont pas encore terminés. Rosine a beaucoup de talent.
Je désirerai que celui de Jean-Claude soit un costume de hussard bleu clair et celui de Tinteville / Georges Descrières, entièrement blanc.
Je tiens à voir un par un chaque rôle secondaire, chaque «petit rôle» et même chaque silhouette.
Le matin et le soir, mon téléphone est saturé par les appels de petits rôles, de figurantes, de figurants :
– J’étais avec vous dans tel film ! me dit l’un.
Vous souvenez-vous de moi, dans La Ferme des 7 pêchés ? J’étais une vieille paysanne ! me dit une autre comédienne.
– Bien sûr, redonnez-moi l’orthographe de votre nom et votre adresse.
Je note tout, j’essaierai de les placer dans le film. Répondre à tous est un peu fastidieux : ils appellent chez moi souvent le matin tôt, à l’instant où je me rase. Tant pis, je réponds à chacun car je sais bien que quelques-uns ou quelques-unes se sont privés d’un croissant voire d’un café le matin pour me téléphoner. La vie des petits comédiens, et souvent même des plus grands, est souvent pénible, je le sais et essaie d’être aimable pour chacun. Au bureau, tous les matins, je passe une liste à Claude :
– Essayez de trouver un emploi pour ceux-là !
Avec Irénée Leriche qui est régisseur général, Claude Sautet cherche et distribue. Un matin, je redonne encore une autre liste :
– C’est complet ! me dit Irénée Leriche, je n’ai plus rien.
– Voulez-vous les inscrire dans les silhouettes ou la figuration, vous leur proposerez s’ils veulent accepter…. ce sera mieux que rien.
Combien d’excellents comédiens sont dans la gêne, je le sais, mais je ne peux pas réinventer des rôles lorsqu’il n’y a plus rien. Dario Moreno vient me voir avec Claude Sautet : il reste une silhouette d’un marin qui chante.
– O Cangacéro ! C’est lui ! me dit Claude.
– Je sais. Il n’y a que le patron de la barque de pêche qui fait évader Juan ! Le pêcheur doit chanter quelques strophes en espagnol, mais le chant qu’il devrait émettre comme signal pour alerter et accueillir les prisonniers,… François Chavane le coupe.. Il y a impasse, je n’aurai pas Dario Moreno.
Pour ce rôle court, je fais engager André Dumas qui m’a été recommandé par un ami, le docteur Louis Wicart , tous deux dans la Résistance avec mon frère Louis à la Libération de Paris. Louis, mon frère, je ne l’aurais pas non plus pour le montage car Chavane engage encore Lamy et Germaine Artus qui avaient monté Le Caprice de Caroline chérie.
François Chavane m’indique sur le scénario les scènes qu’il veut supprimer puisque le film sera trop long. Atterré, je vois que sont coupés le début du film, – le naufrage avec le sauvetage de l’enfant (Juan) – , aussi toute l’attaque du convoi français par les bandits de Frégos et d’autres extérieurs. Hélas, j’aurais mieux fait de ne pas annoncer mon minutage – 2H15, jugé trop long, de ne pas parler de la longueur prévue du film. Au montage, on aurait coupé d’autres scènes. Je suis trop honnête…
6 – Tournage en extérieurs
extraits de « Action ! » Mémoires 1930-1970
.
Huit jours plus tard, nous prenons tous le train pour Perpignan. Au départ, j’offre un beau et grand chapeau blanc, de chez Léon, à Jean-Claude qui, ayant vu le mien et son efficacité par grand soleil dans Alerte au Sud en avait envie..
Jean-Claude ravi se coiffe derechef. Il lui va très bien et ne veut plus le quitter.
– Jean-Claude, il faudra tout de même que vous le retiriez pour le tournage.
– Vous croyez ?, s’esclaffe-t-il.
Toute la troupe s’installe à l’Hôtel du Midi à Port-Vendres.
Au déjeuner, Brigitte Bardot nous rejoint. Elle est avec un compagnon, qui me dit-on est photographe. C’est Roger Vadim. Brigitte me montre sa coiffure. Elle est enjouée, jolie Brigitte, mais sa coiffure blonde est trop claire.
– Vous ne faîtes pas assez espagnole. Vos cheveux sont malheureusement trop clairs, trop blonds pour le rôle. Il faudra les foncer davantage.
– Cela me durcirait trop ! – – .. mais ce n’est pas le rôle de Térésa que vous allez interpréter : vous êtes Pilar !
Magali Noël – Térésa – vient à son tour. Nous sympathisons vite avec cette jeune comédienne, vive et fort intelligente. Elle s’est habillée avec la robe qu’elle portera, pour la rôder.. oui la robe est trop neuve, et il faut la rôder, c’est bien ! Magali sera une Térésa parfaite.
Je vais voir le décor, presque terminé, que Robert Hubert a monté au-dessus de la plage de Collioures. Robert m’assure qu’il sera fin prêt pour demain matin. Il a suivi mes instructions en ne construisant son superbe décor que sur trois côtés. Robert Sussfeld intervient :
– Mais il manque un côté au décor !
– Pour quoi faire ? On n’en a pas besoin…c’est là qu’on place la caméra.. Ne vous plaignez pas, il coûtera moins cher. Robert Sussfeld sourit.
Le lendemain arrive. Maurice Barry prépare ses éclairages. Jean Lallier est à la grosse caméra enfouie dans le blimp avec les opérateurs de Technicolor. Plan d’ensemble. Nous commençons. Tout se passe bien. Ensuite, plan moyen sur Magali Noël, assise derrière la table où sont installés Brigitte et Descrières / Tinteville, hors champ. Je donne des indications à Magali, lui recommande d’ouvrir un peu plus les yeux, malgré l’éclairage intense du «brut» de 225 ampères qui évidemment la gêne.
– Pensez bien à votre regard.
Je retourne vers la caméra afin de contrôler. Brigitte au passage me prend le bras :
– Et moi ? Comment est mon regard ?
Elle est hors champ de la caméra, qui ne la verra pas mais ne le souligne point. Je regarde Brigitte gentiment, me penche, regardant bien ses yeux :
– Ils sont très bien comme cela vos yeux. Ne les ouvrez pas plus.
Brigitte Bardot ravie me serre le bras.
Puis l’objectif est sur Brigitte et Georges Descrières. Nous répétons le texte. Brigitte fait très enfantine, mais c’est le rôle.
– Votre main, crispez-la par moment. Et votre éventail, agitez le plus rapidement…. que vous ayez l’air plus nerveuse, puisque vous êtes venue faire une tractation avec le patron de la barque qui doit faire évader votre frère.
Brigitte exécute les quelques crispations en agitant son éventail.
– attention, pas trop de crispations. Deux seulement. Pour le jeu de l’éventail c’est très bien et transmettez à vos yeux toute votre inquiétude.
Brigitte Bardot va se révéler attentive, travaillant son rôle tout au long du tournage du film, d’une attention et d’une gentillesse unique. Par rapport à Martine [Carol], tellement plus consciencieuse, travailleuse, et gentille avec tous. Elle est fraîche et ingénue à souhait.
Le tournage se poursuit. Il fait très beau. C’est une chance pour la troupe des cavaliers à travers les défilés ou coulent des torrents. Les hautes montagnes, les gorges.
A l’île de Cabrera, les prisonniers affamés cassent des fèves avec des cailloux. Mon brave Bever est dans la file des prisonniers. Ses répliques [et son obsession pour les salades] font mouche. Bever n’a qu’un petit rôle, mais c’est un grand comédien. Mieux, un artiste.
Le ravitaillement par les marins anglais de l’attroupement des prisonniers.
Nous nous sommes installés, l’équipe des opérateurs et moi, sur un radeau bien plat au raz de l’eau, avec la grosse caméra. Mais la mer soudainement ondule fortement, le radeau s’enfonce. Nous nous faisons tirer sur le rivage et débarquons la caméra. Cela risquait de devenir le Radeau de la méduse…
Accidents en série : un figurant vient de faire une chute du haut de la falaise. 40 mètres. Il n’est pas mort heureusement et est emmené d’urgence à l’hôpital de Port-Vendres. En rentrant au port dans une barque, Claude Sautet, qui a mis négligemment la main sur la proue, a le pouce écrasé par le rude contact de la proue contre le quai. Il n’est pas beau le pouce de Claude. Je l’emmène d’urgence, avec une voiture qui est là, jusqu’à l’hôpital
…
En revenant, tandis que je me dirige vers l’hôtel pour le déjeuner, je suis hélé par le patron d’une équipe de pécheurs aux lamparos, dont nous avons utilisé quelques barques pour les prises de vues. – Venez goûter une friture d’anchois. Nous avons fait une bonne pêche cette nuit ! la friteuse fonctionne.
Bonne aubaine ! cela m’évite de déjeuner dans la cohue, et les questions incessantes. Nous nous asseyons sur le sable, entre les autres pêcheurs, installés en cercle, qui font déjà honneur à la friture. Succulente cette friture d’anchois. Cela n’a rien à voir avec la friture de goujons, gardons, ablettes, et autres poissons de rivière. Les barques de l’équipe du patron-pêcheur sont tombés avec leurs lamparos sur un énorme banc d’anchois : cette nuit, une nuée de petits poissons attirés par les grosses lampes à acétylène et leurs grandes taches lumineuses est venue de masser dans leurs filets. L’un des pêcheurs avise une fine silhouette à dix pas de nous, qui se promène sur le bord de la plage.
– Tiens ! une de vos comédiennes .. elle boude ?
Me retournant, j’aperçois Brigitte Bardot, les yeux baissés, qui marche lentement sur le sable, donnant parfois un coup de pied à un coquillage. Elle réfléchit, et travaille ses textes ..
– Oh ! pas mal, ses jambes.. Qui est ce ? – Brigitte Bardot… elle jouait dans le décor de la taverne.. – – Elle est trop mince ! dit un marin – On l’invite à goûter nos anchois ?
A ce moment, un appel retentit : –Brigitte ! Brigitte Bardot s’arrête, fait demi-tour, et part en courant vers l’appel, c’est Roger Vadim. Personne ne le sait encore, Brigitte va devenir une star immense.
Brigitte Bardot nous quitte. Nous la retrouverons à Paris, aux studios.
Brigitte vient me dire au revoir : – Avec regret, me dit-elle, je commençais à m’habituer à vous ! – Mais moi aussi Brigitte,… vous verrez…. tout ce que vous avez fait est très très bien. – C’est vrai ? je suis contente !
Les chevauchées autour de Font-Romeu
Toute l’équipe va s’établir à Font-Romeu, où les hôtels sont absolument vides à cette époque. Les chevaux sont transportés dans des vans, en camions.
L’occupation du village. Site de désolation ..il n’y a pas âme qui vive. Nous plaçons quelques figurants que nous recrutons dans une troupe de romanichels. Il y a un fort vent de sable comme au Maroc. J’ai entouré entièrement mon visage avec mon «cheich» comme un targui. Je fais des envieux. Le village est fortifié avec de très hauts murs. Des soldats espagnols cernent le village. Il faut exécuter une sortie en force. Les hussards d’Albert Dinan sont massés derrière les grandes et hautes portes qui ferment l’entrée et doivent faire une sortie en masse, au galop. Je suis obligé de crier, comme au manège, pour faire ranger et serrer les chevaux. J’en prends deux par les brides et les fais se serrer. François Chavane, venu de Paris pour se rendre compte du tournage, fait remarquer à Jean-Claude Pascal qui est près de lui :
– Vous avez vu ! les chevaux frissonnent lorsque Jean-Devaivre donne des ordres.
– Oui, leurs croupes font des rides ! Ils sentent et se rendent bien compte qu’ils ont affaire à un homme de cheval.
Je crie : – Dégagez le champ. François Chavane s’écarte. – Moteur !
La caméra tourne. – Ouvrez les portes, commande Dinan, Les portes s’ouvrent.
– Au galop ! Les chevaux s’élancent, mais il y a une légère hésitation.
Je hurle : – Allez galop !
Les chevaux bondissent. Terrorisés, les derniers qui sont près de moi bousculent ceux qui sont devant eux. C’est exactement ce que je voulais. C’est une fuite qui ressemble à une charge.
– Ce metteur en scène, c’est une terreur, confie Chavane à Sussfeld.
LE REPAIRE DE BRIGANDS
Le lendemain, nous sommes en place dans une vaste vallée, où coule une joyeuse petite rivière, non loin du lac de Saillagouse. Tout autour, la grande chaîne des Pyrénées. Magali Noël pousse ses vaches, traverse le gué de la rivière. Elle est accompagnée en panoramique par la caméra qui nous fait découvrir le repaire de Frégos et de ses bandits.
C’est une vieille ferme fortifiée. Bien que délabrée, elle a vraiment de la «gueule». Elle ferait bien mon affaire. J’aimerais avoir un élevage de chevaux à cet emplacement. Jamais personne sur ce petit chemin,…. moi qui suis un solitaire, sans pour cela être taciturne. Les scènes rapides se déroulent bien, sans anicroches, avec Marcel Pérès qui interprète Frégos. Lui et ses acolytes ont des visages à faire peur. Puis c’est l’arrivée de Juan, -Jean-Claude Pascal-, à cheval, franchit la rivière. Juan veut s’engager chez les bandits qu’il prend pour des guérilleros, des patriotes !
Sa réception est rude,… le coup de tête dans le ventre que lui administre Frégos n’est pas tout à fait du «chiqué». Il faut faire vrai. La journée s’écoule vite aux alentours de cette ferme. Après un départ au grand galop de l’ensemble des pillards qui doit attaquer un convoi militaire français – scène que je ne tournerais pas puisqu’elle a été coupée par le producteur …-, cela se termine par la fuite de Juan à cheval, qui emmène Magali devant lui, sur sa selle.
Irénée Leriche, le régisseur général, lors d’une mise au point sur le plan de travail des scènes tournées et restantes me confie :
– Les comédiens et les techniciens sont heureux du tournage. Tous sont vraiment contents. Certains m’ont dit : le metteur en scène sait ce qu’il veut et l’obtient….. Jean-Devaivre est exigeant et dur pour tous, mais il est encore plus dur envers lui.
7 – Tournage en studios , à Saint-Maurice
extraits de « Action ! » Mémoires 1930-1970
SAINT-MAURICE : LES DECORS DE JACQUES KRAUSS
Nous rentrons à Paris pour les studios. A Saint-Maurice les décors de Jacques Krauss sont magnifiques, qu’il s’agisse des intérieurs et du grenier des pillards, ou du luxe chatoyant des salons du roi Joseph, du boudoir de Sophie Desmarets, des chambres et salons de la famille d’Aranda ou bien du hall du château espagnol et bien d’autres. Tous d’une réalité, d’un goût raffiné, intelligent, font vrai. J’apprécie beaucoup cette maîtrise. Je suis ravi et le lui dis.
Tous les angles des décors sont volants, c’est-à-dire démontables. Jacques Krauss a suivi scrupuleusement mes croquis. L’ensemblier Turlure a fait des prodiges. Avec Krauss, il a pensé à tout. Où ont-ils pu dénicher tous ces accessoires authentiques ? C’est le secret de Turlure. Au murs, des tapisseries espagnoles du XVIIe siècle, sur d’autres, d’immenses fresques peintes, dans le goût d’Uccello.. Je félicite Jacques Krauss et le charge de faire mes compliments à l’artiste qui a peint les fresques. Et dire que ces fresques superbes seront détruites lorsque nous aurons terminé. Quel dommage, quel gaspillage de talent !
La première séquence que nous tournons aurait dû venir après la scène du naufrage. Elle met en scène la précipitation dans la fuite de la famille d’Aranda qui déménage avant l’arrivée des troupes françaises qui occupent déjà une partie de l’Espagne. Il y a beaucoup d’affolement.
Germaine Dermoz est une comtesse douairière remarquable, elle possède à fond un métier à toute épreuve, je n’ai guère d’indications à lui donner. C’est une grande comédienne qui connaît le cinéma depuis le muet.
Micheline Gary, dans le rôle de Conchita, l’aînée de Pilar : d’une grande beauté, elle joue très intelligemment son rôle, qu’elle connaît sur le bout des doigts. Mon métier devient tout simple, des indications pour ses places,… ses gestes sont aisés. Il ne faut pas lui expliquer ce qu’elle doit faire de ses bras de ses mains .. son métier est bien maîtrisé. Tout juste la calmer de temps à autres, elle veut trop bien faire…
BRAVO MES COMEDIENS !
Le grand salon chez le Roi Joseph est rutilant. Aucun heurt de couleurs, tout est harmonieux, Jacques Krauss y a bien veillé. Les robes des femmes sont chatoyantes, les dentelles fines, les étoffes de soie souples, et le frôlement des soies donne un léger son très agréable.
Alfred Adam, le Général Lassalle, fait un bon «numéro» dans sa colère contre les bandits guérilleros, lorsqu’il réplique à Robert Manuel, « le Roi Joseph », qu’il le trouve trop magnanime, pour les guérilleros qui déciment les convois de l’armée française. Sophie Desmarets est parfaite en charmeuse avec Juan d’Aranda / Jean-Claude qui ne cherchait pas à la séduire, mais qui évidemment tombe sous son charme.
Le Général de Sallanches, Jacques Dacqmine est versatile, entre des moments de tendresses infidèles et des accès de fureurs aveugles. C’est certainement l’un de ses meilleurs rôles de Jacques. Magali Noël me conforte dans mon choix. Elle est fine, et bouillante à la fois. Magali devrait faire une grande carrière, elle sait tout faire. Pascale Roberts a déjà beaucoup de métier, c’est un ouragan contenu.
Micheline Gary, belle comme une déesse grecque, possède une diction impeccable, un charme inné, presque plus fort encore lorsqu’elle a revêtu la robe des soeurs de son couvent
Brigitte….. Brigitte Bardot, a vraiment pris possession de son personnage, et m’émeut souvent.
A force de volonté, de la fraîcheur de sa jeunesse. Elle est pure, spontanée. Ses gestes sont souples, pas apprêtés ; elle sait se laisse aller. Elle est elle-même….. Tout le contraire de ce que l’on m’avait annoncé.
George DESCRIERES
Georges Descrières a déjà la manière de la Comédie Française….. Il va d’ailleurs en faire partie après le film. Descrières n’a qu’un seul défaut : les projecteurs doivent le gêner beaucoup car il ferme les yeux très souvent. Je le lui fais remarquer à chaque scène. Le cinéma, c’est l’oeil .. et le regard. Descrières fera des efforts méritoires, et à chaque reprise, les ouvrira un peu trop. Mais il a une aisance splendide, est très attentif, sautant sur chaque réplique ne laissant jamais un temps mort.
Le rythme ! Le rythme rapide pour ce récit, c’est une priorité …et aussi pour n’être point obligé de couper encore au montage ! Les lames des sabres de l’équipe de Carliez, Raoul Billeret, Jacky Blanchot et Georges Demas, dans les combats, sont convaincantes. Heureusement, il n’y aura pas d’entailles, pas de blessures, ce qui arrive pourtant fréquemment avec les combats au sabre.
Les ‘petits rôles’ aussi ont été excellents – ceux qui deviendront des ‘grands’, Daniel Ceccaldi, Marcel Bozuffi, .. mais aussi ceux qui seront moins dans la lumière, et qui auraient mérité de faire de plus grandes carrières : Sylvie Pelayo, Bernard Lajarrige …
Les scènes en studio sont terminées.
8 – Dernier tournage en extérieur : LA GRANGE-BLENEAU
Nous partons de nouveau en extérieurs dans la région parisienne, au château de «la Grange-Bléneau», – la demeure d’un descendant du Général de La Fayette. Le propriétaire, René de Chambrun, un homme très affable, nous accueille chaleureusement. Il conserve beaucoup de souvenirs et de présents que son illustre aïeul a reçus en Amérique, durant son séjour outre-océan : il me fait découvrir, dans une ancienne grange, un magnifique canoë en bois, encore parfaitement en état, offert par un chef indien à La Fayette en reconnaissance de son action.
Ce canoë est d’une longueur inaccoutumée. Six ou huit hommes devaient y tenir en file, j’imagine le spectacle impressionnant qu’il devait donner, dans les eaux rapides d’une rivière, ou bien sur un lac.
Nous venons animer la solitude du châtelain, enchanté de la présence de Germaine Dermoz qu’il a tant admirée autrefois dans ses films.
Devant la grande façade de la Grange Bléneau, nous tournons, avec une calèche et un char, le déménagement hâtif de la famille d’Aranda sous les remontrances de Charles Deschamps, volubile à souhait.
Puis le départ de Juan qui fait ses adieux à Pilar. Brigitte, boudeuse, a peine à retenir ses larmes. Elle est très bien.
Encore des cavalcades avec Dacqmine et Jean-Claude.
L’accident. Le renversement de la calèche et l’arrivée du carrosse de Caroline. La porte du carrosse s’ouvre, Sallanches se précipite, ce seront les images de la fin du film. Pas celles que j’aurais voulues, mais c’est ainsi. Le choix des producteurs, par souci budgétaire …
Le lendemain, nous terminerons le tournage par les scènes du relais de poste.
Ouf ! Le Fils de Caroline est terminé … Il n’aura pas été « chéri » …