1945

Le Roi des Resquilleurs

  • Réalisation : Jean-Devaivre
  • Scénario -adaptation : Henri Diamant-Berger et  Richard Pottier, d’après René Pujol 
  • Production : Charles Smadja – Gladiator Films – Henri Diamant-Berger
  • Producteur Délégué : Henri Diamant-Berger
  • Directeur de production : Charles Smadja
  • Distribution : Gray-Films

Sortie en France : décembre 1945

Disponible, dans une version récemment restaurée chez René Chateau Video

 1 – Le contexte, la Libération et le retour à la fête

1945, c’est la Libération : après la liesse de l’accueil des libérateurs en 44, aux entrées de Paris, aux Champs-Elysées et ailleurs,  les Français veulent tourner la page de quatre années de guerre, de peur, de rafles,  de délations, de restrictions et de privations,  avec  des tickets et des rationnements pour les rares produits encore accessibles de la vie quotidienne, le pain, – beurre et chocolat, pas la peine d’y penser, les chaussures – plus de semelles de cuir, mais du bois.. – , les tissus / les robes ont raccourci car il n’y a plus assez de tissu… Quant aux cosmétiques et produits de soins, pas même en rêve.. Les femmes se teignent les jambes, avec un fil simulé de la cheville à la cuisse pour laisser croire qu’elles portent des bas ‘’à couture’’.. Pendant 4 ans, plus non plus de spectacles,  plus de rassemblements ni de fêtes populaires, le Vel d’Hiv a été le théâtre de la mortelle rafle que l’on connaît, et les spectateurs des salles de cinéma ou de théâtres étaient considérés comme des oisifs, potentiel gibier à rafles..

On est maintenant en 45 : comme après chaque grande crise, comme aussi après la 1e guerre, l’on veut renouer avec le rire, l’insouciance, la fête, le sport, les rassemblements sportifs, et tous les plaisirs et spectacles populaires interdits et impossibles depuis 39.

C’est dans ce contexte et dans cet esprit que le producteur, le résistant Charles Smadja (et frère d’Henri Smadja, le repreneur du journal Combat), allié à Henri Diamant-Berger, (producteur et réalisateur – c’est lui qui a réalisé la 1e version, muette des Trois Mousquetaires, combattant et croix de guerre 14-18, fondateur en 1916 de la revue Le Film / rédacteur en chef Louis Delluc, producteur et distributeur de films en France et aux  USA – il a aussi été, à Alger, sous l’égide de la France Libre, directeur des services cinématographiques civils et militaires de la France combattante)  vont choisir de monter Le Roi des Resquilleurs., un remake d’une première version 1930, à l’époque centré sur le chansonnier Milton.

Initialement pressenti pour la mise en scène, Richard Pottier, (auprès de qui Devaivre a été assistant réalisateur pour nombre de films, dont ‘Huit Hommes dans un château’, ‘Mon amour est près de toi’ et  ‘Les Caves du Majestic’.. , cf. ci-dessous) ne peut pour l’instant réaliser de films, et il conseille à Charles Smadja  de prendre Jean-Devaivre.  Celui-ci est un peu dubitatif sur le titre, le sujet même, le scénario et les dialogues initiaux, mais il a très envie de tourner son 1er film comme réalisateur, d’autant que la Société Sirius, – la société fondée par Antoine de Rouvre, camarade de tranchée de son père, et auprès de qui il a fait toutes ses premières armes cinématographiques depuis 1933 -, ne peut lui proposer que quelques doublages.

Il accepte. Du scénario-adaptation initial d’Henri Diamant-Berger, il renforce la dimension ludique, développe les scènes de grands spectacles sportifs, performances sportives et immenses rassemblements populaires, intègre des dimensions musicales à grand spectacle :  ainsi Rellys s’empare du micro  et chante devant des centaines de spectateurs, à un match de boxe au Palais de Glace, aux Champs Elysées, puis à une course cycliste au Vel d’Hiv, – (une reconstitution des Six Jours de Paris , compétition cycliste extrêmement célèbre à l’époque, qui sera cinématographiquement une véritable préfiguration du kerring)

A la fois comédie musicale, film comique, film de genre, film d’évènements sportifs, le Roi des Resquilleurs va rassembler tous les ingrédients d’un film populaire, et le pari sera réussi, car à sa sortie à Noel 1945, quelques mois à peine après le début du tournage, le film sera un succès – aussi financier : pour un coût de l’époque de 10 millions de francs, il en rapportera 10 fois plus..

Le film est aussi le reflet d’une ambiance et du souhait de s’amuser d’une époque.

2 – Synopsis

Chanteur de rues, accompagné de ses copains musiciens Georges, Ernest et Béru, Mimile (Rellys) se débrouille toujours pour pénétrer sans payer – c’est un choix, et pas seulement une nécessité -, dans les manifestations sportives organisées par l’entrepreneur de spectacles et entreprenant M. Sycleton (Jean Tissier)

Surnommé « Le Baron », le resquilleur fait la connaissance, au cours du grand steeple d’Auteuil, de la sœur de Sycleton, Arlette (Suzanne Dehelly), et de sa filleule, la jeune Lulu (Jeannette Batti) , dont Georges tombe amoureux.

Mais Sycleton a engagé le père de Lulu, le redoutable Ledoux (Gabriello), pour faire la chasse aux resquilleurs…

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3 – Signalétique

Distribution

Rellys : Mimile

Jean Tissier : Sycleton

Suzanne Dehelly : Arlette Sycleton

Jeannette Batti : Lulu

Daniel Clérice : Georges

Josette Daydé : la chanteuse

René Génin : Ernest

Raymond Cordy : Béru

André Gabriello : Ledoux

Marcel Maupi : le médecin

Jean-Jacques Vital : le radio-reporter

Et : Paul Barge,Georges Bever, Jean Boissemond, Paul Delauzac, Max Doria,Gisèle Frappa, Denise Kerny, Palmyre Levasseur, André Numès fils, Roger Prégor, Maurice Régamey , Marcel Rouzé, Maurice Salabert,
Sinoël : le liftier

André Wasley

Fiche technique

Titre : Le Roi des Resquilleurs

Producteur : Charles Smadja

Réalisation : Jean-Devaivre

Producteurs délégués : Henri Diamant-Berger, Charles Smadja

Directeur de production : Charles Smadja

Distribution : Gray-Films

Auteur de l’œuvre originale : René Pujol

Adaptation :  Henri Diamant-Berger, Richard Pottier

Dialoguiste :  Pierre Benard

Directeur de la photo :  Marcel Lucien

Décorateurs : Jacques Colombier, Robert-Jules Garnier

Ingénieur du son :  Robert Teisseire

Montage :  Gérard Bensdorp

Auteurs de la musique : Loulou Gasté, René Sylviano

Date de sortie : France – 27 décembre 1945


4 – Le contexte

En 1945, JDV sort de l’Hôpital Militaire du Val-de-Grâce, où il a été transporté  pour soigner une grave blessure  par balles à la jambe.  Dans les dernières semaines de la guerre, et alors même que Paris et quelques villes ont été libérées,  en Saône et Loire, au maquis de Saint Bonnet de Joux, lui et sa moto  ont essuyé des tirs en rafale. Les allemands ont théoriquement déjà évacué cette partie de la région. Qui a tiré, un milicien ou un ancien collaborateur ?

Toujours est-il qu’en mars 1945, JDV sort du Val de Grâce, et va être choisi pour réaliser le Roi des Resquilleurs par les producteurs Henri Diamant-Berger et Charles Smadja,  et aidé par le frère de ce dernier,  Henri Smadja, le repreneur du journal Combat .

Il remplace Richard Pottier –  réalisateur avec qui il a travaillé comme assistant réalisateur sur 3 films -, Pottier a fait ses débuts en 1929 dans le cinéma allemand, comme assistant du réalisateur Josef von Sternberg sur L’Ange Bleu, -.

Pottier ne peut faire la réalisation, mais il a travaillé avec Henri Diamant-Berger à l’adaptation et au scénario de cette nouvelle version du Roi des Resquilleurs.

Remontons un peu le temps :

C’est en 1941, aux Studios  de Boulogne, que JDV a fait la connaissance de Richard Pottier, pour le film «  Huit hommes dans un château » (cf.  et lien avec « débuts dans le cinéma), via son ami Jean-Paul Le Chanois. « Huit Hommes dans un château » sera d’ailleurs la 1ere édition du tandem opérationnel Le Chanois – Devaivre.  Jean-Paul Le Chanois a écrit le scénario  d’après le roman de – Jean Aurenche  en signera l’adaptation- ;  Le Chanois demande à JDV de présenter ce projet au producteur Sirius. Sirius accepte,  et choisit Richard Pottier comme réalisateur ; Jean-Devaivre sera son 1er assistant sur le film. C’est le  début d’une camaraderie avec Richard Pottier. Le film sera tourné aux Studios de Boulogne en 41-42, et la période va correspondre à des bombardements allemands de plus en plus rapprochés sur la ville de Boulogne. A chaque alerte,  et elles sont nombreuses, JDV emmène Pottier se mettre à couvert au Bois de Boulogne. Il l’emmène à vélo, Pottier assis sur un coussin sur le cadre du vélo ! Leur camaraderie se poursuivra autour de l’activité de l’un et de l’autre aux studios, – JDV sera à nouveau l’assistant de Pottier pour « Mon amour est près de toi » (lien à venir pour l’histoire du tournage, et les accrochages anti-pro-allemands lors du tournage)  et pour Les Caves du Majestic, même si Pottier n’est pas lui, comme Le Chanois et Devaivre, un ‘clandestin ‘ (à l’époque, on ne disait pas ‘résistant’, l’appellation est venue plus tard). L’ activité de réalisateur de Richard Pottier sera continue  sur 7 films, avec la Continental, ce qui sera à l’origine de sa mise « sous douane » pendant plusieurs mois en 1945-46.

En 1945, à la Libération, la donne a changé. Devaivre  sort de l’hôpital,  – il a été officiellement réincorporé dans l’armée comme officier à la suite de ses faits d’armes dans la Résistance. Il a pourtant bien envie de renouer avec le cinéma, de réaliser son 1er film comme réalisateur. 

=> (extraits des mémoires de JDV – mémoires intégrales 1996, publiées ensuite en grande partie aux Editions Nicolas Philippe  « Action ! »)

Fin février 1945. Je sors de l’hôpital du Val de Grâce. J’ai à peine fait cinquante mètres hors des grilles du Val que je croise Henri Diamant-Berger, en uniforme de l’armée américaine, avec sur l’épaule, l’insigne de “War correspondant”. Diamant-Berger, je l’ai connu avant-guerre lorsqu’il était metteur en scène. Il regarde mon uniforme.

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Les comédiens :

Le tournage commence par le grand Steeple d’Auteuil où je rencontre sa Majesté le Sultan Mohamed V dans le rond de présentation des chevaux.

Le film se poursuit par un match de boxe, avec le champion Tison, au Palais de Glace, sur les Champs-Elysées. (ndas : le Palais de glace, au Rond Point des Champs Elysées sera remplacé dans les années 70 par le Théâtre du Rond Point , Compagnie Renault-Barrault)


Retrouvailles : je retrouve avec joie Jean Tissier.
Et Gabriello qui lui, me fait la gueule. Pour lui, je suis un souvenir de la Continental qu’il s’efforce d’oublier.
Tissier, au contraire, exulte :
– Vous vous souvenez, il y a dix ans, dans Une Gueule en or, je vous l’avais bien dit que vous feriez de la mise en scène !

Les hommes, les femmes de la figuration m’ont tous reconnu et ne se font pas répéter deux fois les instructions de tournage. Sur chaque coup des boxeurs, ils réagissent à fond, rien que pour me faire plaisir.

Richard Pottier, qui est venu me voir démarrer, s’esclaffe vers Diamant :
– Vous voyez comment il fait jouer les figurants !… Pour les comédiens, ce sera la même chose.
Brave Richard Pottier, il ne reviendra que deux fois durant le tournage du film, pour voir comment cela se passe.
Avec Rellys, c’est plus simple que je ne le pensais. Il met beaucoup de bonne volonté pour les exercices qu’il a à accomplir mais je me demande si c’est vraiment un comique.

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Tournage en studio
Loulou Gasté – Josette Daydé

Puis nous passons en studio, à Joinville, dans les décors de Jacques Colombier.

Lorsque j’étais assistant dans le film de Cayatte, Pierre et Jean, j’avais remarqué un jeune horloger venu faire de la figuration. C’était un boute-en-train remarquable. Je lui fais quitter son magasin de Lagny pour lui donner un petit rôle de serveur dans le décor de la boite de nuit où Rellys déguste des écrevisses en compagnie de Suzanne Dehelly et de Jeannette Batti.
Il fait un seul passage, fulgurant, en dansant avec un plat sur lequel trône un poulet. (Les poulets étaient un mets exceptionnel au sortir de la guerre).

Josette Daydé  se produit dans un restaurant chic, avec un orchestre swing. Elle chante une très belle chanson, drôle, fort bien exprimée,  avec une grâce et une gentillesse rares.
La chanson, ainsi que toutes les autres et la musique du film, sont de Louis Gasté et Sylviano. Ce sont les premières compositions de Loulou Gasté, qui, avec un ancien boucher, a fondé les éditions Le Bleu.
Avec Raymond Cordy et René Génin, c’est un peu “les chargeurs réunis”, j’ai un peu de mal à les calmer…