1953

Un Caprice de Caroline Chérie

  • Réalisation : Jean-Devaivre
  • Scénario : d’après le roman de Cécil Saint-Laurent
  • Adaptation : Cécil Saint-Laurent, Jean Anouilh
  • Dialogues : Jean Anouilh
  • Production : Cinéphonic, et Gaumont
  • Tournage : 1952 à  Menton, Peille (Pelha), Roquebrune Cap Martin et Studios de Boulogne

Sortie en France : mars 1953

Edition DVD Gaumont Classiques (lien), disponible en particulier sur FNAC.COM, RAKUTEN, AMAZON, …

 1 – Le contexte et le film

Jean-Devaivre va réaliser deux des volets de la trilogie des « Caroline Chérie » : Un caprice de Caroline Chérie,  puis le Fils de Caroline Chérie.

Le ‘Caprice’ grande coproduction en couleur, réalisée d’après le 2e tome des aventures de Caroline Chérie de Cécil Saint -Laurent (Jacques Laurent), avec des dialogues de Jean Anouilh, verra la consécration comme star de Martine Carol, déjà promue de starlette à vedette par le 1er épisode, Caroline Chérie », film en noir et blanc réalisé deux ans avant par Richard Pottier – c’est lui qui a formellement lancé la notoriété internationale de Martine Carol. Fin 1951, François Chavane et Alain Poiré veulent absolument réaliser la suite des aventures de Caroline, que Cécil Saint-Laurent vient de publier sous le titre « les Caprices de Caroline Chérie » Richard Pottier n’est pas libre pour faire le 2e épisode de Caroline, et d’ailleurs Martine Carol ne tient pas à ce qu’il continue. Richard Pottier, qui l’avait eu comme assistant, et qui l’a poussé à faire son premier film en 45, avance le nom de Devaivre. François Chavane, le producteur de Cinéphonic, a vu les films de Devaivre et particulièrement la Ferme des Sept Péchés, mais aussi Vendetta en Camargue, et ses poursuites à cheval.  Il tope tout de suite, Il faut que Devaivre réalise ‘Un Caprice de Caroline Chérie’.

 Sorti à Paris en mars 1953, Un Caprice de Caroline Chérie, énorme succès commercial, est d’abord célèbre pour son parfum de scandale – Caroline au bain, première scène de nu intégral – en plus en couleur – dans le cinéma grand public français , avec de vives réactions dans l’opinion et la presse opposant les pros et les anti-Caroline : le Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon et primat des Gaules tonne contre le film pour son immoralité ; en juin 1953, le sénateur-maire de Niort, tout juste réélu sur la liste de ‘Concentration Républicaine d’action municipale Familiale et Sociale’ demande l’interdiction de la projection du film à Niort.., Référé judiciaire : les producteurs Alain Poiré (Gaumont) et François Chavane (Cinéphonic) ont gain de cause, le film sera bien projeté la semaine suivante.  A l’export,  – les anathèmes perdureront encore 4 ans au moins : en 1957, au Canada. le film continue de susciter des batailles et se trouvera encore amputé de 35 minutes ‘licencieuses’. A la télévision, encore dans les années 60, le film est coté ‘pour adultes, avec réserves’ !

Mais à côté de ces polémiques, les échos sur le film se sont portés sur plusieurs points :

une photo magnifique,   – Le Caprice de Caroline voit en France la 1e utilisation du  procédé Technicolor (cf. ci-dessous)  et l’image technicolor magnifie les décors somptueux des palais italiens comme les plans rapprochés de Martine Carol, de Jean Claude Pascal et des autres comédiens, comme des extérieurs du tournage, – les poursuites dans les ruelles de Menton, la fuite hors du palais, les chevauchées et poursuites dans les hauteurs de l’arrière-pays de Peille et Roquebrune ou les criques (à l’optimum JDV préfère tourner en décor naturel).

Du côté des comédiens, à  côté de la consécration de Martine Carol (voir ci-dessous quelques anecdotes), déjà mise en vedette par Richard Pottier dans le premier Caroline, et de Jacques Dacqmine,  qui reprennent leurs rôles, le Caprice de Caroline  met en lumière –  et c’est le choix de JDV – un jeune comédien qui monte, Jean-Claude Pascal, qui tient le rôle du « beau Livio », le beau danseur qui orchestre et danse le ballet lors de la soirée du 14 juillet, et se trouve être en même temps le chef des insurgés italiens. Devaivre choisira à nouveau Jean-Claude Pascal, l’année suivante pour Alerte au Sud (lien), puis en 1954 pour le 3e volet des Caroline ‘Le Fils de Caroline Chérie’.

Un certain nombre de scènes ont aussi marqué les esprits : l’ouverture du film, la réception donnée pour le 14 juillet dans un palais méditerranéen d’une Italie tout fraichement occupée par les troupes napoléoniennes : aucun des invités de la noblesse italienne ne s’est déplacé,  et pour animer la salle déserte, le capitaine de Cépoy (Jean Paqui, le comédien et champion olympique d’équitation, qui tenait le rôle masculin principal dans Vendetta en Camargue) fait danser son cheval au pas espagnol dans la salle de bal.

Bien sûr la scène du bain,  où Caroline / Martine Carol, dans une superbe baignoire baroque en forme de coquillage va recevoir ‘de loin’ le beau Livio’ maître de ballet / Jean-Claude Pascal, qui grâce à un jeu de miroir l’observe quand même en direct ..

Autre scène mythique : la fuite éperdue de Caroline dans les ruelles de nuit, poursuivies par des masques puis par un ivrogne – le tournage de cette scène fut d’ailleurs particulièrement délicat, Martine Carol ayant réellement très peur du comédien Alexandre Rignault qui incarne cette brute ..


4 – Echos dans la presse


5 – Tournage en extérieurs

    extraits de « Action ! »  Mémoires  1930-1970 *

Le tournage  et la caméra technicolor

Le tournage commence à Menton.

«  Menton ; J’ai fait démonter par François Suné l’accessoiriste et par les machinistes toutes les persiennes à fente dans les ruelles. Pour ne laisser que les volets pleins
qui seuls existaient à cette époque. Les machinistes ont recouvert les poteaux télégraphiques de lierre ou de feuillages.

Les costumes militaires de Marie-Ange et Rosine Delamare, exécutés d’après leurs dessins, sont très beaux, … mais trop neufs, ils ont besoin d’être rodés ; je vais m’y employer en faisant courir tous les personnages.

Je lance Martine Carol et Dacqmine dans une course effrénée dans des escaliers formant ruelles.

On tourne : la caméra Technicolor avec le blimp (caisson insonore) étant intransportable dans des conditions hors studios de ce type, je tourne sans le blimp : La caméra, déroulant ses trois pellicules simultanément, fait un bruit énorme, impossible d’enregistrer le son.

Tony Leenhardt, l’ingénieur du son se désole. Pas longtemps.

Je fais recommencer la scène avec les comédiens seulement pour le son,
sans faire tourner la caméra jointe pour le son, et nous enregistrons en sons seuls les quelques paroles, et toutes les cavalcades, identiques au tournage réel.

Le monteur aura seulement à synchroniser ce que nous venons d’enregistrer. Je réutiliserai le procédé pour toutes les prises de vues sans blimp. Tony Leenhardt est ravi….. Cela évitera les bruitages et les doublages.  Quelles vérités dans ces sons de cavalcades que répercutent les murs des ruelles ! Le résultat sera impeccable.

 Après toutes ces courses, ces franchissements de murets, ces passages dans les jardins et les taillis, les uniformes ont enfin l’aspect que je voulais.

Mais Martine et Dacqmine sont épuisés. Martine me jette des coups d’œil furieux. Pauvre Martine, je lui ai fait faire une gymnastique peu habituelle.

 Le soir, le cameraman Technicolor et son assistant démontent de la caméra le fameux prisme secret et le montent dans leur chambre. »

.. « Nous tournons dans les vieilles ruelles du haut de Roquebrune et à Peille,

avec Marthe Mercadier, toujours aguichante.

_________ 

Dans les sous-bois et les sentiers des environs du Dramont, Jean Paqui emmène Dacqmine à la poursuite de Jean-Claude Pascal qui s’enfuit avec Martine Carol. Leur calèche est tirée par un cheval littéralement terrorisé par les grands écrans solaires qui l’aveuglent.

Jean Paqui est ravi, à son affaire, mais pas Dacqmine… »


6 – Tournage en studio

Le bain de Martine

extraits de « Action ! »  Mémoires  1930-1970  (manuscrit original)*

‘’Nous rentrons à Paris aux studios de Boulogne pour entamer les scènes d’intérieurs…

Je dis à Martine : ‘Bravo, les extérieurs ont été très réussis. Maintenant c’est à vous de gagner tout ce qui va se passer en studio…

Martine me regarde en souriant :  J’y compte bien !’’

LE BAIN DE MARTINE

Les décors de Jacques Krauss s’avèrent très beaux.

Pour la scène du bain,  et suivant mes indications, Jacques Krauss a fait incruster dans les panneaux des murs de la salle de bains et autour de la grande baie qui donne sur l’extérieur, des coquillages nacrés, des huîtres, des ormeaux … et aussi des moules Il fallait des Belon, dont la forme ronde était particulièrement adaptée, mais Krauss n’en a pas trouvé assez chez Prunier [restaurant de poisson et écailler du VIIIe arrondissement, très renommé à l’époque].Dommage…

Je demande aussi à Krauss de faire pulvériser un vernis sur les coquillages vides. L’effet est spectaculaire. En fait, j’’ai eu l’idée de ce décor au cours d’un voyage à Florence..

Au milieu de la vaste pièce, on accède par deux marches à une gigantesque coquille, – comme la conque de la Vénus de Botticelli ; réalisée en staff  elle servira de baignoire à Martine Carol.

Des glaces, montées sur pivots, sont orientables suivant les scènes ou les lumières, dans le boudoir attenant, et le visiteur Livio (Jean-Claude Pascal, qui incarne le maître de ballets, et danseur ) peut à loisir regarder Caroline au bain sans que celle-ci ne s’en doute..

On commence : avant de pénétrer dans son bain, Martine exige que tous les techniciens quittent le plateau… Elle a juste oublié, au-dessus d’elle sur les passerelles, les six électriciens qui doivent manipuler les projecteurs.

A la fin de la première prise, le cameraman anglais annonce : “il y a un poil”. .. En fait cela va lui permettre de prolonger le temps de prise de vue ! 

(La première fois que j’ai entendu cette expression, je n’ai pas compris. André Thomas me met au courant : les objectifs sont nettoyés avec des pinceaux fins, et il arrive qu’un poil se glisse dans le pourtour de l’objectif. En ouvrant la caméra, on s’en aperçoit.  L’assistant en charge des objectifs a comme mission de faire le point entre la caméra et les acteurs, à l’aide d’un genre d’escargot à manivelle. Lorsqu’il se trompe dans le maniement de son accessoire, il annonce, pour qu’on recommence la prise : « Il y a un poil !î pour mettre sur le dos du pinceau sa propre erreur de manipulation.. ou, en l’occurrence.. son souhait de prolonger l’expérience ! .).