La Ferme des Sept Péchés
pourfend le « Fanatique Inconnu »

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.Jean Kehayan (1)

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Quel bonheur pour un auteur qui n’est ni critique de cinéma ni critique littéraire de redécouvrir La Ferme des Sept Péchés de Jean Devaivre quelque 70 ans après sa création.

Il a sûrement fallu des trésors de passion, d’amour et de professionnalisme pour ressusciter ce film tombé dans l’oubli tout comme l’œuvre d’un cinéaste majeur du XXème siècle.

Les cinéphiles ont parfois cité l’auteur lorsqu’il était en butte à des plagiaires et des prédateurs sans vergogne. C’est de l’histoire ancienne et tant pis pour eux si leur nom est ici oublié volontairement : c’est qu’on ne vole jamais une œuvre majeure.

Nous sommes là en effet face à un film qui défie les décennies et les modes : un film qui surprend par la modernité du propos et du tournage.

A une époque où les notions de liberté et de vérité sont étouffées jusqu’à l’égorgement, il est salutaire de se dire que ces concepts ne relèvent pas de l’abstraction mais sont des valeurs sûres, intemporelles qui concernent aussi bien les royaumes, les empires que les républiques.

On imagine le péché capital de Jean Devaivre de pourfendre avec une allégresse communicative les abus de pouvoir et la corruption des magistrats et des politiciens.

Est-ce son goût immodéré pour le propos iconoclaste et la liberté, qui gîtent enfouis dans des scènes que la pellicule magnifie, qui l’ont conduit un temps vers ‘l’oubli’ ?

Voyez le film et l’époque pour constater qu’il y a une intemporalité dans le propos.

Poésie de la nature et trouvailles cinématographiques : vous vous réjouirez avec les écureuils qui sautillent et la chouette qui fait des clins d’œil de complicité à ses spectateurs !

Les jurés du Festival de Locarno ne s’y sont pas trompés en lui attribuant le grand prix en… 1949.

La campagne, la forêt, le village, la duplicité des élus, les mœurs paysannes sont peints avec un pointillisme époustouflant.

Il est jusqu’au casting du cinéaste qui a mis en valeur des acteurs, débutants pour l’époque, mais qui se sont révélés être de grands classiques de l’histoire de notre cinéma.

Pierre Renoir, Jacques Dumesnil, le jeune Jean Vilar, pas encore créateur du TNP, et surtout Jacques Dufilho dans un rôle d’anthologie d’idiot du village, pourchassé de toutes parts par la méchanceté des hommes, la cruauté des enfants qui le poursuivent pour le lapider.

C’est L’idiot du village russe, méprisé, raillé mais néanmoins respecté parce qu’attachant et charismatique dans sa naïveté.

C’est « l’homme qui danse, – au sens propre -, sur un rayon de soleil. »

La trame de l’intrigue repose sur la vie du pamphlétaire Paul-Louis Courier complice de la ‘racaille républicaine’ sous la Restauration, la plume ‘que tout le monde veut voir disparaître’ et qui proclame que « le seul ennemi, c’est le Fanatique Inconnu ».

On l’aura compris : ce n’est pas un hasard si ce Courier-là, pamphlétaire immortel, est devenu une référence aujourd’hui encore pour les journalistes qui préfèrent ‘mettre la plume dans la plaie’ comme le proclamera Albert Londres, plutôt que de manier la brosse à reluire devant les puissants.

Cerise sur le gâteau, Herminie, l’héroïne féminine, qui nous emmène dans son galop effréné sur son cheval blanc, avec, virevoltant à ses basques le même Dufilho, – qui ne va pas se rompre le cou, n’ayez crainte -, et enfin la musique de Joseph Kosma qui donne toute son intensité aux images de la forêt, tel Vivaldi dans ses Quatre Saisons.

Grâces soient rendues à tous ceux qui ont redonné une vie à ce film avec en chef de file sa fille Anne-Marie, toujours capable de remuer ciel et terre pour les causes qu’elle a décidé de défendre.

Il s’agit en l’occurrence d’un devoir filial au service de la Liberté contre les injustices et l’arbitraire.

Merci pour ce travail qui va, je l’espère, animer bien des soirées de ciné-clubs à l’ancienne et qui mérite d’être programmé, séance tenante sur Arte ou sur la 5.

Jean KEHAYAN
janvier 2021

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(1) Jean Kehayan, journaliste et écrivain.
Auteur de la préface de ‘Action !’, ouvrage de mémoire de JDV, paru en 2002 (Editions Nicolas Philippe)